Le travail intellectuel

 

Un "travailleur de l'esprit" peut s’affairer dans deux champs majeurs d’opérations, celui de chercher à établir la vérité, celui de rendre ses opérations utiles y compris pour l'agrément. Ici, seul le premier objectif est quelque peu considéré suivant cinq aspects:

L’accroissement du savoir
Trois démarches reliées
Transdisciplinarité
Symbole
Souhait


L’accroissement du savoir

"Dans le sillage de Piaget, le réel est saisi à travers de 'filtres' que l'on peut nommer mots, notions, construits, théories et que toute activité de recherche est guidée par ces préalables sans lesquels le réel est inconnaissable" (Marie-Claire Robic, et al., Couvrir le Monde, Paris, CNRS, 2006, pp. 113).

Concept et entité lexicale

La quête notionnelle n’est pas supplétive, parallèle ou postérieure à l’avancement scientifique, elle est science elle même. Il s’agit de manoeuvrer deux pions (le mot et la notion) par rapport à une chose qui n’est pas fixe non plus. Ces trois pièces d’un même circuit apparaissent rarement en même temps; renaissance ne serait entré dans la langue courante qu’environ deux siècles après le début de sa réalité historique.

La notion correspond à une essence cognitive, départicularisée de son objet mais y renvoyant nécessairement. Elle implique une analyse rigoureuse de tout ce qu’une chose peut contenir et suggérer analogiquement; cette démarche conduit à clarifier la compréhension et l’usage de chaque signe du langage. L’entité lexicale elle-même qui essaie de rendre l’idée annoncée constitue le second ambassadeur. Ainsi, un mot-clé, recueilli ou inventé, devient un introducteur qui informe son utilisateur; le désignant, même s’il est rarement un miroir fidèle du désigné, contient une méga réserve d’énergie; comme pour la fission et la fusion de l’atome, la force se manifeste si son déploiement est provoqué.

Les travaux intellectifs tiennent compte des liaisons de signification entre des nymes (mot, terme, locution) et leurs ascendants, voisins et descendants. S’en dégage une réserve idéelle qui, à son tour, devient disponible pour la suite de l’aventure. L’accroissement de l’entendement se fait, à la fois, par induction remontante à partir d’acquis ponctuels ainsi que par déduction à la suite de théories, modèles et lois. À tout moment, l’apport des prédécesseurs, l’imagination ainsi que l’agilité de l’esprit doivent être au rendez-vous. Il faut aussi identifier des liens pertinents entre les informations recueillies, dégager de nouvelles pistes orientantes, inventer des instruments et élaborer des propositions stratégiques. Dans cette tension amplificatrice, l’utilisation de plus d’une discipline facilite les opérations.

Exercices

Des choses aux notions, des notions aux mots, et vice-versa, on va et vient, tel un guide de montagne qui, à répétition, monte et descend. De nombreux champs et versants sont touchés. Chaque effort, qu'il soit sectoriel ou global, facilite la compréhension de la matière. Travailler des champs parallèles, essayer de rendre un thème sous plusieurs angles et, en cours de route, revoir les choses vers l’amont et vers l’aval, conduisent à un enrichissement cognitif. Par une telle démarche intégrée et spiralée, le savoir devient automatiquement amplifié. Ce qui est appris dans un domaine conduit souvent à reconsidérer ce qui semblait acquis dans un autre; le refroissement du Petit Âge glaciaire aide à mieux comprendre les difficultés de l’implantation du peuplement dans le Pré Nord québécois. Bref, les notions et les mots servent autant à l’encyclopédiste qu’au chercheur spécialisé.

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Trois démarches reliées

• Vision initiale

L’entendement d'une question exige d'abord des réflexions profondes et pertinentes, qu’elles soient de dimension micro ou macro. Elles servent à identifier les premiers éléments théoriques et idéologiques, fixer les objectifs, trouver des concepts d'analyse par lesquels le travailleur de l’esprit va librement s’engager. Ces efforts comme préalables assoient la raison de l’étude et établissent le fil d’Ariane qui guidera comme un phare. Cette perspective conceptuelle exige de ne rien épargner.

Les approfondissements thématiques

Ils comprennent le recours à de nombreux domaines de spécialité ainsi qu’à tout type de représentation (peinture, photographie, créations littéraires). Suivant les besoins de chaque cas, on considérera archives, banques de données, modèles, esquisses, laboratoires, manuels, dictionnaires spécialisés, répertoires de noms de lieu, rendus cartographiques, corpus terminologiques. Toutes les pièces, scientifiquement ou émotionnellement pertinentes, annoncent le contenu. Afin d’investir ces derniers, les auteurs cherchent à découvrir les mécanismes qui témoignent des réalités. Ils défont le modèle des intrants afin que ces derniers livrent le secret de leur édification; cette dissection fait découvrir l’ordonnance des situations, démarche se rattachant à des préoccupations historico-constructivistes. En cours de route, les chercheurs peuvent faire appel à d’autres disciplines que celles d’abord retenues; elles s’avèrent un bon indice de la qualité de la recherche; l’argumentation procède donc à partir de tout critère. L’analyse des faits, conduite avec objectivité, est validée après coup. À la fin de leurs efforts, les chercheurs résument leurs contributions, discutent des aspects principaux et évaluent les impacts des propositions. L’on devrait ainsi satisfaire l'objectif d'un entendement profond du sujet.

• L'énoncé global

Il correspond à une lecture grand angulaire dépassant le cadre strict des apports polyvalents précédents. Après toutes les analyses fines de chaque mini morceau, quelqu'un doit considérer le tout de la matière qui d'ailleurs n'avait jamais cessé d'exister comme telle. La synthèse de fin de course constitue une opération tout autant articulée que celles qui l'avaient précédée, mais elle est autrement construite. Symboliquement, cette ambition recherchée serait rendue par le belvédère du mont du Lac des cygnes qui offre une vue généralisée du grand cratère de Charlevoix. Des réponses globales peuvent être élaborées à tout niveau du savoir dont celui d’une méga question ou d’un vaste territoire – par exemple, un réaménagement approprié des pays tempérés afin de répondre au présent réchauffement planétaire. La recherche d’amplitude nécessite autant d’attention que celle des deux autres stades. La phase globale se distingue de la phase initiale notamment par l’objectif de produire un bilan, c'est-à-dire un tableau préoccupé d'englobance et de sagesse. Malheureusement, pour agir à la phase terminale, le chercheur est bien moins préparé qu’il l’est sur le plan thématique. Le mot global ne doit pas être mal entendu; il ne s’agit pas d’un exposé banal, vaporeux, rempli de mots qui flotteraient par émulsion sur un immense lac rempli de données paraposées. Le résultat de haut niveau ébranle l’énoncé du médecin-poète Jacques Ferron: «Les savants se savantent; chacun fait sa part mais à la fin, il n’y a plus personne pour considérer les ensembles». Les énoncés synthétiques exigeants caractérisent le summum qualitatif de tout le déploiement scientifique.

La présentation autonome de ces trois horizons distord la démarche intégrée de l’intellectuel, de l’artiste ou du scientifique qui, en fait, ne se déploie pas en franchissant des séquences indépendantes et successives. Le travailleur se comporte plutôt comme un passeur qui, à l’intérieur d’un archipel, navigue fréquemment d’une île aux autres au-delà de leurs détroits intermédiaires.

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Transdisciplinarité

Face à l’imbrication des choses qui dévoile sa part de mobilisme, les chercheurs ne prennent pas une attitude uniforme. La plupart voient la production du savoir dans le non-éloignement de leur monoformation d’origine; ils donnent l’impression de résister à sortir d'une spécialité, parfois très tôt déclarée, afin de ne pas atténuer la force et la pureté de leurs résultats. Pour eux, la simple addition de chaque séparatisme scientifique devrait automatiquement conduire à la quantité totale des connaissances; ce qui ne peut être le cas. Chez de tels experts, la fidélité à la formation reçue semble les priver d’accéder vraiment à la complexité des réalités dont seulement un très petit secteur peut être accessible par un seul type de questionnement.

Heureusement, depuis quelque temps, des savants complètent leur analyse en faisant appel à des sciences de proximité ou des sciences de complémentarité. Les choses ont donc évolué depuis la phase antérieure de l’autonomie jalouse des disciplines. Des travaux répondent à une double notion de pluridisciplinarité, l’une désignée horizontale, fonctionne au niveau des sentiers parallèles des recherches; l’autre, verticale, ne concerne qu’un seul thème, mais le fait du début à la fin de même que de haut en bas et de bas en haut. La pluridisciplinarité peut en être une de simple voisinage, par exemple, l'ajout à un article d’une simple carte de localisation; au regard du niveau d'intégration des choses, elle se rend beaucoup moins loin que la pluridisciplinarité optimale; cette dernière exploite à fond tous les outils et faite appel à tout groupe de sciences; les opérations intégrantes essaient de rejoindre la plus grande partie possible de l’objet étudié. Certains savants arrivent à la transdisciplinarité, vision supposée être plus avancée dans la conduction que celle apportée par la pluridisciplinarité et même l’interdisciplinarité. Quoi qu’il en soit de la compréhension d’un tout, un producteur globaliste offre un service autre que celui du chercheur limité à sa sphère mais ce dernier ainsi que tous ceux qui s’engagent sectoriellement font en amont des oeuvres de base toujours essentielles au panorama risqué du généraliste.

La transdisciplinarité est une méthode intellective suivant laquelle un chercheur – plutôt une famille d’entre eux – utilise d’une façon incorporante toutes les sciences, techniques, traditions du savoir et langues en vue d’une compréhension maximale d’un objet considéré en lui-même, dans ses relations proximales et dans ses aptitudes à s'orienter vers l'universel. Il soumet à une axiomatique commune les concepts indépendants de chaque discipline. Par analogie, cet interactionnisme construit un savoir intégré qui ressemblerait à l’état anastomosé des chenaux fluvio-glaciaires, caractérisés qu'ils sont par de constants échanges de débit tout en assurant le mouvement des eaux vers l'aval.

La conjonction des méthodes offre de grandes utilités dans des domaines liés, tels santé et services sociaux, droit et pratiques commerciales, vie privée et sécurité publique, choix entre mourir plus tôt ou souffrir longtemps. La collégialité du travail apporterait des expertises bienvenues sur le réchauffement appréhendé, la manière de prendre des écodécisions ainsi que la pérennité des ressources. Alors, devrait-on confier aux seuls hydrologue et hydraulicien le soin de préparer un plan définitif de commun usage de l’eau en société? De la même façon, un biologiste du saumon est-il préparé à évaluer le rapport politico-culturel entre le roi des cours d’eau, les non-Autochtones et les Autochtones ? Un chercheur qui s'occupe d'environnement devrait être désavantagé s'il ne connaît pas suffisamment les données fondamentales de la nature. Évidemment, des spécialistes peuvent s'engager au-delà de leur démarche spécifique et atteindre la pratique globalisante des savants convergents.

L'arrivée de la transdisciplinarité conduit à une réorganisation de l’acquisition et de l’utilisation des savoirs, ce qui exige une nouvelle pédagogie. Les formations, ancienne et même actuelle, freinent les travaux à dorénavant poursuivre dans des sentiers moins clôturés. Mais, il est difficile de se déshabituer à l’éparpillement des connaissances vu comme sécuritaire. Malgré des progrès certains vers le pluridisciplinaire, les structures universitaires, le financement, les professions, les ministères et les mentalités sont encore imbus de sectorialisme, ce qui défavorise les disciplines à cheval comme la psychologie, les biotechnologies, la nutrition, l’archéologie, l’urbanisme et la géographie. Dans la post-modernité et l'élan mondialiste, le séparatisme scientifique ne semble pas devenir moins contraignant.

Afin d’éviter cet inconvénient, les jeunes étudiants ne devraient-ils pas acquérir, non une seule formation de base, mais plus d’une, et cela, en complémentarité, par exemple, géologie et paléontologie, médecine et droit, nutrition et affaires sociales, architecture et développement, ingénierie et administration, géographie et langues, archivistique et informatique? En recherche et développement, l’utilisation de multicritères dans l’analyse et l’évaluation des choses se présente comme une facette de la transdisciplinarité. La fréquentation plurifacultaire ainsi que l’amplitude naturelle de certaines sciences apprivoisent les rêves transdisciplinaires mais ces derniers demeurent inatteignables. Néanmoins, qui s'y adonne retire des dividendes formateurs.

L’engagement dans la cause d’une meilleure communauté de disciplines a poussé l’Acfas à favoriser l’établissement d’un prix annuel d’interdisciplinarité, désigné Jacques Rousseau, chercheur en sciences naturelles et humaines et, durant une quinzaine d’années, secrétaire général de l’Acfas. Le biochimiste Louis Berlinguet, le sociologue Fernand Dumont et le géographe Rodolphe De Koninck se retrouvent parmi les récipiendaires.

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Symbole

Sculpture en verre de Marek Fisar

 

Une figure qui représente bien
une vie citoyenne,
culturelle, artistique, scientifique ou mystique,

c'est la spirale.

 

Un ressort qui ne perd jamais pied
par rapport au site de départ

mais qui, en route, incorpore assez d'éléments nouveaux
pour éviter l'ennui d'une ligne droite
ou l'emprisonnement d'une circonférence.
Ainsi, peut être atténuée la force de gravité
du déjà entendu, lu, su et cru. 


Extrait, allocution du recteur,
Université du Québec à Trois-Rivières, 1979

 

 

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Souhait

Un intellectuel pourra alors se sentir équipé pour pénétrer dans le merveilleux monde de l'innovation.

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